M- Tu as vu cette performance d’Alvin Lucier où il met un micro dans une théière, et un enregistreur à côté ? Il joue un morceau au piano, dans une église, puis joue l’enregistrement à l’intérieur de la théière. Du coup, ça forme un écho entre ce qui se joue dans l’espace de l’église et dans l’espace de la théière. Le son est amplifié et filtré deux fois. Il enregistre ce qui sort de la théière en faisant varier l’ouverture… Il utilise l’espace vide pour moduler le son parce qu’il se répercute sur toutes les surfaces où il est contenu. Il joue à un jeu de bruit et d’écoute entre le très petit et le très grand. Petit à petit, il intervertit enregistrement et projection du son : en fait ce qu’il enregistre dans la théière il le renvoie dans l’église, qui est réenregistrée dans la théière, qui est renvoyée dans l’église et ainsi de suite, et ça finit par totalement changer le morceau de départ, on entend plus que l’écho. C’est génial. Ce qui reste au final c’est uniquement la trace du son qui a voyagé dans tous les espaces, et c’est globalement le bruit de la vibration des murs. C’est hyper intéressant c’est comme si ça créait une voix autonome sortie de nulle part, fantomatique. C’est avec cette pièce que j’ai commencé à percevoir la résonnance des vides. Avec un peu tous les objets… ou corps parce que moi, mon corps, je le vois un peu comme un objet aussi, qui a une membrane et un espace intérieur que je ne connais pas, mais qui est potentiellement vide et creux, une sorte de contenant à résonnances, surtout les poumons ! Du coup je me vois un peu comme une théière. Les pots, théières ou jarres sont les objets les plus simples à comparer au corps humain. Il y a cette membrane, qui est dense et poreuse à la fois, comme la peau. Et toujours un intérieur vide et cette ouverture, qui ressemble à la bouche. C’est intéressant quand on étudie la céramique de voir que des termes anthropomorphiques sont appliqués aux descriptions de formes. Le pied, la panse, les épaules, le bec, etc. L’anse d’une théière ressemble aussi plus ou moins à un bras, ou à un os. Visualiser une poterie comme un corps ça aide à s’imaginer que le nôtre est résonnant. Il y a un gros rapport aussi à l’architecture. Là, je me projette à l’échelle d’un pot parce que c’est l’échelle juste en dessous de moi, que je peux prendre dans mes mains. Mais je pourrais aussi imaginer la dimension d’au-dessus, celle de l’espace qui me contient. Le son navigue de la même manière dans une pièce que dans une théière. C’est pareil, il va se jeter contre un mur, puis il se répercute, bien sûr il ne va pas circuler aussi fluidement que s’il était dans un espace circulaire, mais il y a cette même idée d’être contenu.